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Féminin + masculin : two be (or not to be at all)

Féminin + masculin : two be (or not to be at all)

 

    Bien sûr, j’aime tout dans la mythologie grecque, mais, tout en haut de mon top 10, figure la Théogonie d’Hésiode. Pourquoi ? D’abord parce que son auteur, Hésiode donc – VIIIè s. av. J.-C., est devenu très vite lui–même un mythe ; ça me plaît cet effet miroir entre l’auteur et son œuvre : on passe ainsi très vite au-delà des questions d’ordre « historique » (un mythe est bien au-delà du temps et de l’espace, non ?) pour revenir à l’essentiel : le poème… poème de l'origine...

 

L'origine du deux

 

    Créé par une créature – Hésiode, simple être humain qui faisait paître ses moutons au pied de la montagne Hélicon, inspirée par les toutes puissantes déesses Créatrices, les Muses, filles de Zeus, ce poème chante la création depuis son commencement, depuis, donc, son archè (en cela il est une source archéomythique) : création et devenir de l’Univers, des Dieux et du Cosmos (c’est-à-dire comment tous ces êtres créés s’agencent), création et devenir de la femme et donc de la race humaine et de la race héroïque (les héros sont issus de l’union entre une divinité et un être humain). Bien sûr, il chante aussi la création poétique, au sens large car poiein, d’où vient le mot « poésie », signifie justement « créer » : production artistique et reproduction d’êtres vivants sont toutes deux une forme de poésie qui donne naissance à une nouvelle entité. Or, qui dit « nouveau » dit forcément « autre » : le processus de création implique nécessairement l’apparition de l’altérité et de la différenciation…

 

Et la danse du deux fait swinguer le cosmos…

 

    Dans la Théogonie, ce processus est tout de suite à l’œuvre : quand la toute première entité primordiale, Chaos, « l’ouverture béante », apparaît, vient dans la foulée Gaïa, la Terre, avec toute la densité qui est la sienne sur laquelle on peut s’appuyer ; au vide « répond » le plein. Et ça continue … à l’espace stable et sûr, statique, que représente Gaïa répond un être moteur de la création, qui met en mouvement : il s’agit d’Éros, le dieu de l’attraction. Lui répond alors Tartare, curieuse entité qui deviendra une sorte d’espace protégé où Zeus repoussera et canalisera la génération des haineux Titans. Et puis Gaïa se met à engendrer l’exact jumeau d’elle-même : Ouranos, qui se différencie quand même d’elle par son genre, et donc, par son sexe. Imbriqués l’un dans l’autre, collés l’un à l’autres dans un état plus proche du 1 que du 2, embrasés qu’ils sont par l’énergie d’Éros, ils s’accouplent et créent de nombreux enfants … qui ne peuvent pas voir le jour, coincés, les petits chéris, à l’intérieur de Gaïa, dans son ventre dont la sortie est obstruée par les parties génitales d’Ouranos. Mais la Terre est dense et contient le minéral : Gaïa donne donc un outil en fer à ses enfants, et c’est Cronos, le petit dernier, le plus proche peut-être de la partie de son père qu’il peut atteindre, qui se charge de la couper : Ouranos se détache alors de Gaïa … le Ciel monte ; au Bas désormais répond le Haut ; grâce à Cronos, dieu du Temps, un Espace s’ouvre entre la Terre et le Ciel, et leurs enfants, traits d’union et de désunion entre eux deux, peuvent prendre forme dans le monde physique extérieur : prennent alors place certaines entités géographiques sous une forme divinisée, comme Océan. Et l’histoire continue sur le même rythme …

    Pour la création de la race humaine, on assiste au même « jeu du deux » et c’est le jeu de Zeus. L’épisode se passe au moment où les dieux et les êtres humains se différencient. Zeus, pour compenser le fait que les êtres humains disposent désormais du feu grâce à Prométhée qui le leur a donné, décide de fabriquer une sorte de poupée, à base de terre et d’eau, à la plastique canon… C’est Héphaïstos, le dieu forgeron, maître du feu et du métal, mari d’Aphrodite, qui se charge, avec Athéna, déesse de l’intelligence rusée, du design de cette création d’une sublime beauté, grâce et richesse, qu’on ne peut qu’aimer. Elle ne porte pas de nom dans la Théogonie ; c’est dans une autre de ses œuvres, les Travaux et les Jours, qu’Hésiode la désignera par le nom de Pandore. Avant Pandore, l’humanité existe mais pas le mâle, et l’humanité ne (re)-produit rien : c’est en créant un être « plus femelle » (c’est ainsi dans le texte) que le mâle apparaît, et que naissent également et logiquement l’attraction, la reproduction ainsi que toutes les notions duelles. L’humanité vit désormais ce jeu du deux (+/-) que représente la polarité, et expérimente les « couples » de notions « antithétiques » opposées, contraires, et donc aussi complémentaires : force/faiblesse, abondance/manque, amour/haine, extérieur/intérieur, lumière/ombre, blanc/noir, conscient/inconscient, bien/mal, mâle/ femelle, etc…).

    Bien sûr, grande est la tentation de vouloir rétrograder au jeu du un : franchement, qui a envie d’expérimenter spontanément la faiblesse, le manque, la haine, l’ombre, l’inconscient ? Trop dangereux tout ça, SOS danger : ou je fuis ou je m’immobilise ou j’attaque. Fuir le pôle - ? Le tuer ? Ne pas bouger ? Ne comptez plus sur ces stratégies ! Impossible, voyons, comment voulez-vous couper une pile en deux ? Comment voulez-vous que l’énergie de création se produise avec un seul pôle ? Zeus le sait bien, lui le dieu électrique de la foudre… En tentant de supprimer la moitié de l’humanité, on se suicide car on fait partie de la même pile (et face!). Supprimez Éros, dynamique à base de la création qui permet ce subtil flirt entre ce qui se complète, et vous aurez Thanatos.

    Alors, accepter ce jeu, accepter ces deux faces de notre expérience humaine ? C’est ce que tend à nous dire Aphrodite, belle déesse de l’Amour, et Arès, dieu de la Guerre : tous deux décident de s’aimer et ils engendrent Harmonie, déesse de l’équilibre, comme une pièce subtilement posée sur sa tranche montrant pleinement son recto et son verso.

 

Duo-duel ?

 

    Quand on parle de duel, on pense au sens principal qu’en donne notre langue : c'est comme une bonne vieille histoire de western, deux personnes qui cherchent à éliminer l’autre ; à la fin il n'en restera qu'une. Et, dans notre grammaire française, nous avons deux nombres : le singulier et le pluriel. Or, la langue grecque possède un autre nombre, le duel, que l’on utilise pour des éléments qui fonctionnent par paire. Tiens donc, inutile de s'entretuer alors ... Et si la parité passait par la reconnaissance qu’on fonctionne par paire ?

Et pas seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur…

 

Le deux dans le deux

 

    D’autres représentations cosmogoniques invitent très clairement à cette compréhension subtile, comme le montre le symbole très connu du yin et du yang, où un point blanc apparaît dans la partie noire et un point noir dans la partie blanche. Autrement dit, il y a du yin dans le yang et du yang dans le yin, du féminin dans le masculin et du masculin dans le féminin, de la force dans la faiblesse et de la faiblesse dans la force, comme une composition fractale où tout se retrouve toujours dans chacun de ses éléments.

 

La Roue Médecine amérindienne et ses deux féminins actif et réceptif

 

    Ainsi, l’une des symboliques cosmogoniques qui m’a le plus inspirée est celle de la Roue Médecine Amérindienne, du moins une de ses versions. Il s’agit d’un symbole qui rassemble les grands principes de la création et leur organisation, c’est-à-dire comment ces principes de base complémentaires s’alchimisent et produisent une vie en équilibre (d'où le terme "médecine"). Attention, il s’agit d’un système dynamique et dialectique qui produit le mouvement de la roue de la vie (faire rentrer des trucs dans des cases n'est pas le projet !). On y retrouve les quatre principes élémentaires que sont le feu, la terre, l’eau et l’air, les quatre directions géographiques que sont l’est, l’ouest, le sud et le nord, les quatre règnes du vivant que sont les règnes humain, minéral, végétal et animal, aussi les quatre parties qui composent notre êtreté en tant qu’humain : l’esprit, le corps, l’âme et le mental. Ce qui m’a intéressée est que, là où d’autres civilisations attribuent le Yin/féminin à ce qui est réceptif et le Yang/masculin à ce qui est actif, la roue médecine amérindienne comporte deux féminins : un réceptif et un actif, et deux masculins : un actif et un réceptif. Eh oui !

    Notre esprit est l’énergie de feu, située à l’est, associé au règne humain, masculin actif, qui pénètre notre matière et la fait pousser : notre corps, la matière, associée au règne minéral, située à son opposé à l’ouest, est un féminin réceptif qui reçoit cette énergie de feu qui la met en mouvement.

    Notre âme est l’énergie de l’eau, fluide, liquide et limpide, associée au règne végétal, féminin actif, qui pénètre notre mental et le fait pousser : notre mental, aérien, associé au règne animal (animé par le souffle de vie, anima), est un masculin réceptif qui reçoit le fluide inspirant de notre âme qui le met en mouvement.

    Pour les Amérindiens, notre déséquilibre vient du fait que nous ne fonctionnons qu’avec des masculins actifs et des féminins réceptifs : le mental, devenant actif au lieu d’être réceptif, oppressant notre âme devenue passive, est ainsi « perverti » de sa fonction originelle.

    Et si retrouver un équilibre féminin/masculin dans la société passait par le retour, en nous, de la mise en action de notre âme, ce féminin actif, et la mise en réceptivité de notre mental ? Expérimentons et voyons…

    Car vive la mise en pratique avec mytheetriteenpratique.com !

Roue Médecine Amérindienne - orientation verticale Est (+)/Ouest (-), horizontale Sud (+)/Nord (-)
Roue Médecine Amérindienne - orientation verticale Est (+)/Ouest (-), horizontale Sud (+)/Nord (-)

Odile TRESCH

 

 

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